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4 mai 2015 1 04 /05 /mai /2015 00:00

Du temps a passé depuis le premier Iron Man en 2008. D’abord outsider face à des studios rodés façon Warner (qui compte en son passif des mastodontes comme le Superman de Richard Donner (1978) Batman de Tim Burton (1989)) ou Columbia avec Spider-Man (2002), le studio, via son partenariat avec Disney, s’est vite révélé comme étant le pionnier, celui qui a su se réapproprier la mode du film de super-héros (initiée par le X-Men de Bryan Singer en 2000). 

 

Le point culminant de cette reconquête progressive du marché cinématographique fut évidemment Avengers en 2012 qui arbore fièrement sa place de 3ème plus gros succès « de tous les temps » derrière Avatar et Titanic. Nul doute que la politique Marvel se transforme rapidement en machine industrielle à l’efficacité remarquable. La mécanique du studio est simple: créer un univers connecté, chaque film préparant le public au suivant, au delà même d’une cohérence narrative intrinsèque à chacun des long-métrages. Dès lors, une question s’impose: derrière la machine, y a-t-il des hommes ? Le départ du génial Edgar Wright du projet Ant-Man, un mois avant le début de son tournage et après 10 ans de travail pour « divergences artistiques » prouve qu’il y a peu de place pour les créatifs au sein de Marvel Studios. C’est en ce sens que le premier Avengers s’est révélé être une agréable surprise, car derrière le film se cache Joss Whedon, réalisateur/scénariste, qui avait su surpasser les exigences d’un cahier des charges imposantes en proposant une oeuvre cohérente, d’une efficacité certes mécanique mais redoutable, qui avait su iconiser ses personnages comme aucun des précédents films ne l’avait fait auparavant (exception faite du Captain America de Joe Johnson qui, malgré un troisième acte raté, proposait une narration exemplaire). 

 

Après le carton du premier opus, Joss Whedon s’est vu promu à un poste capital: être le référent de la cohérence de l’univers cinématographique de Marvel. C’est lui qui fera le pont entre les cinéastes et le studio, qui assurera la cohérence créative de l’ensemble des films en vue de ce qu’on appelle: la phase 2 initiée par Iron Man 3. A ce titre, les nominations de réalisateurs comme Shane Black (brillant scénariste de films cultes comme L’Arme Fatale ou Last Action Hero) ou James Gunn (Horribilis, Super) pour Les Gardiens de la Galaxie, semblaient témoigner de la volonté du studio de prendre plus de risques créatifs. Or il s’est révélé que le Iron Man 3, bien que truffé d’excellentes idées fut un échec artistique, que Thor : Le monde des ténèbres fut indigne de ses ambitions (si tant est qu’il n’en ai jamais eu) et que Les Gardiens de la Galaxie fut un pétard mouillé calibré qui se la jouait « à la cool ». Seul le Captain America : The Winter Soldier, fut un produit efficace, bien que balisé, proposant une mise en scène élégante et un scénario qui assurait le minimum d’intérêt. La phase 2 fût donc un hybride, une sorte de chrysalide entre la volonté de cinéastes de proposer des films originaux et la volonté du studio de huiler sa mécanique de pompe à fric calibrée. C’est dans ce contexte qu’apparait son point culminant Avengers : L’Ere d’Ultron. Qu’en est-t-il de la place du créateur Joss Whedon ? A-t-il réussit à prendre le pouvoir sur le studio comme il devait le prendre ?  ATTENTION LEGERS SPOILERS.

 

AVENGEUR-.jpg

 

BIGGER AND LOUDER

Dans toutes ses interviews, le bon vieux Joss témoignait d’un vrai regard créatif sur cette suite. Eloigné des considérations commerciales, ses questionnements (que j’imagine sincères) sur le fonctionnement narratif d'une suite, en citant notamment Le Parrain 2 ou L’Empire Contre-Attaque et en contredisant une scène culte d'Indiana Jones et le Temple Maudit, faisait état d’une ambition salutaire. 

Malheureusement, il n’est que « vaines paroles » si elles ne sont appliquées, et force est de reconnaitre qu’avec cet Acte 2, Whedon a loupé son coup

 

Il part pourtant d’une ambition honnête et efficace: reprendre les acquis du précédent et les faire en mieux. C’est ainsi qu’on reverra des passages obligés, des vannes calibrées, des variations des scènes que nous avons déjà vu, comme pour rassurer le spectateur qu’il est bien venu voir la suite du film qu’il a adoré, pour proposer ensuite quelque chose de différent, une mutation logique de ce qui a été mis en place.

 

Si Avengers traitait de la genèse compliquée de cette équipe, L’Ere d’Ultron tient donc de la remise en question de la légitimité de cette équipe. En effet, en tant que « demi-dieux » qui sont-ils pour déterminer qu’ils ont le pouvoir de ce monde (pouvoir qu’ils ont puisqu’ils sont les seuls à avoir la capacité d’assurer sa protection) ? C’est ainsi que Tony Stark, pris d’une folie scientifique à la Frankenstein crée Ultron, une intelligence artificielle ultra perfectionnée qui n’a qu’une mission « la paix à notre monde ». Le problème c’est que cette I.A, finalement très humaine, détournera ce message en déduisant que la paix de notre monde réside dans l’évolution ou (extinction) de l’humanité.

 

Cette événement provoque donc la zizanie dans le groupe des Avengers dont l’union est fragile, les questionnements moraux prenant alors le pas, entraînant un débat mesuré sur la manière dont il faut « gérer le monde ». C’est du moins en théorie ce que racontait ce deuxième opus. 

 

En théorie parce que, in fine, Joss Whedon a perdu. Broyé par la machine, noyé dans un cahier des charges, Avengers 2 ne propose que quelques fulgurances mal exploitées, laissant la place à la machinerie de blockbusters que se doit d’incarner « la suite du film au 1,5 milliards de recettes ». S'il est vrai que visuellement le film se révèle d'une bien meilleure facture que son prédécesseur, il n'en est pas de même pour sa narration. 

 

 Minimisant son intrigue remarquable, L’Ere d’Ultron se transforme en succession de vignettes désincarnées, (là où le premier proposait une simplicité sincère) et ne cesse d’effleurer son potentiel.  

Ainsi, lorsque les membres de l’équipe se retrouve confrontés à leurs peurs les plus profondes, il aurait fallu que ces peurs nourrissent le récit et trouvent leur résolution dans le cadre de l’intrigue. Mais non, il ne s’agit que d’une séquence perdue dans le brouhaha, entre deux moments de bravoure certes efficaces, mais dénués de substance car déconnectés d’une quelconque narration. On pourrait citer des exemples à la pelle de cette apparente déconnexion, car jamais le film ne va au bout de son excellent concept. Ultron, par exemple, semblait être un psychopathe ultra-puissant, imprévisible, agent de chaos logique, qui pourrait mettre du fil à retordre à l’équipe façon Joker dans The Dark Knight. Mais comme les vengeurs ne se retrouvent jamais en difficulté physique, on a du mal à percevoir cette supériorité pourtant nécessaire à un bon méchant. C’est d’autant plus visible et dommageable que ce même Ultron finit expédié en quelques secondes après une bataille épique (variation bigger and louder du climax du premier opus) qui, du coup, ne trouve même pas son apothéose. Le film sature de scènes d’action à la Michael Bay comme passage obligé (alors même qu’elles auraient pu servir la narration, comme la scène de l’affrontement Iron Man/Hulk, qui ne dépasse jamais le  stade du questionnement sans réponse dans ce que cela implique pour Bruce Banner - à savoir la dangerosité de son alter-égo). Trop pressé d’amener à la suite, L’Ere d’Ultron oublie d’agir au présent, et donc de raconter pleinement son histoire en prenant le temps de gratter et aller au bout de ses idées (Tony Stark aurait du véritablement sombrer à l’idée de pouvoir être potentiellement un destructeur des Avengers et de notre monde), le film bien qu’ambitieux dans ses thématiques ne semble avoir comme objectif premier que l’idée de vendre la suite. Un message du studio déclamant: « préparez-vous au clou du spectacle, Avengers 3, en deux parties nommées Inifinity War sera l’aboutissement de toutes ces années. On va faire péter le box-office à des niveaux inégalés ». Il y a quelque chose d’ironique dans cet Avengers 2 proposant une I.A qui tente de dominer le monde, puisqu’elle semble finalement raconter sa propre histoire.

 

Des ambitions de Joss Whedon il reste vraiment beaucoup, et à ce titre, le film est probablement le plus ambitieux que Marvel ait produit à ce jour, mais ces ambitions sont perdues dans la machine, destinée à être le marchand de tapis de la phase suivante. Le final, d’un cynisme hallucinant témoigne de la machinerie: « bienvenue dans la Phase 3, continuez de payer on vous conditionne à regarder la suite pour tout péter avec Avengers 3 ». Que le réalisateur ait passé l’éponge sur le troisième opus évènementiel parle pour lui-même: l’industrie a gagné

 

marvel_s_avengers_age_of_ultron_theatrical_poster_by_j_k_k_.jpg

 

LA FIN D'UNE ERE 

 

Finie la créativité, bienvenue aux yes-men façon Peyton Reed (nouveau réalisateur de Ant-Man, engagé en catastrophe pour palier au départ d’Edgar Wright), bienvenue aux frères Russo (réals de Captain America 2) qui reprennent le poste jadis occupé par Whedon, puisqu’ils se retrouvent promu à la réalisation et l’écriture des mastodontes du studio: Captain America : Civil War, opposant Iron Man au Capitaine (et donc challenger du non moins cynique Batman vs Superman qui annonce la Justice League) et surtout les deux parties d’Infinity War, le fameux Avengers 3 qui sera l’aboutissement de tout. Que Whedon, mégalomane génial qu’il soit, renonce à cette lourde tâche (à moins qu’il n’ait été écarté) prouve une chose: le cynisme a gagné face à la créativité. Triste constat que nous impose cet Ere d’Ultron imparfait, dont les ambitions résonnent péniblement au coeur de la machine, achevant de transformer le cinéma en produit mercantile qu’on consommera entre deux McDo. A l'heure où j'écris ces lignes, après douze jours d'exploitations, Avengers : L'Ere d'Ultron culmine à plus de 600 millions de dollars de recettes dans le monde, preuve que la machine fonctionne. Malgré une succession de films dispensables, le public suit Disney dans sa conquête du marché. Merci Joss, tu as le mérite d’avoir essayé de résister, mais tu as perdu… Triste constat.

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